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Auteur/autrice : opusagaunum

Expérimenter des méthodes de traitement – Un gel d’algues, du rose et du peeling

Expérimenter des méthodes de traitement – Un gel d’algues, du rose et du peeling

Lors d’un précédent article, nous avions abordé les essais de nettoyage effectués sur coupons. L’objectif était alors de déterminer quel type de complexant – une molécule composée d’une « pince » qui va séquestrer un cation métallique – était le plus indiqué pour nettoyer les oxydations du cuivre sur des coupons ternis artificiellement (https://opusagaunum.ch/experimenter-des-methodes-de-traitement-des-poules-du-gel-et-des-coupons-ternis/). Pour l’appliquer sur l’objet, plusieurs méthodes de nettoyage sont possibles, comme l’immersion complète dans la solution. Si l’on souhaite restreindre le nettoyage à une seule zone on pourra utiliser des compresses avec de la pulpe de papier, un papier buvard ou alors gélifier la solution pour qu’elle devienne « solide ». Dans notre cas nous souhaitons restreindre le nettoyage à la face visible des plaques tout en laissant intact leurs revers. Cela justifie d’abandonner la solution de l’immersion qui aurait pour conséquence de nettoyer toute la pièce. Compte-tenu de la surface gravée des plaques de la châsse, il faut aussi que le médium contenant le complexant puisse pénétrer dans de tout petits interstices. C’est pourquoi, nous avons décidé de nous tourner vers une préparation en gel.

Les gels sont couramment utilisés en conservation-restauration de papier ou de Beaux-arts. L’objectifs étant de limiter l’apport d’eau, d’autres solvants et/ou de produits chimiques sur la surface, laisser agir le produit aussi longtemps que nécessaire et limiter le rincage. Il existe tout une gamme de produits gélifiants naturels ou synthétiques et chacun possède ses forces et ses faiblesses. Il convient de bien les connaître pour faire un choix éclairé. Dans le cas du métal, nettement moins sensible à l’eau et aux solvant que le papier, il y a naturellement moins de cas d’études publiées. C’est pourquoi, toute une série d’essais et de collaborations ont donc été mise en place pour augmenter l’expertise de l’atelier, à commencer par la réalisation d’un travail de fin d’étude Master en 2019 déjà. Sabine de Weck, aujourd’hui collaboratrice à l’atelier, avait comparé différents types de gel et complexant sur des coupons vieillis artificiellement. De plus, l’atelier collabore étroitement à un projet collaboratif appelé « Gels Métaux » autour de l’emploi des gels comme support pour le nettoyage de corrosion métallique. Parmi les partenaires de ce projet on trouve le laboratoire Arc’Antique, le Centre de recherche et de restauration des musées de France au Louvre, la HE-Arc CR et des collègues indépendants. Dans ce projet, il s’agit de faire avancer nos connaissances et nos pratiques en partageant des expériences variées comme des travaux d’étudiants, des ateliers pratiques, des projets de recherches et des cas d’étude comme celui de la châsse de l’abbé Nantelme.

À la suite de ces partages de connaissances et des travaux menés à l’atelier nous avons décidé d’employer un gel à base d’Agar-Agar (extrait à partir de certaines espèces d’algues rouges) et de l’appliquer à chaud. Cette méthode permet donc de faire couler le gel en phase liquide pour qu’il épouse les reliefs des gravures. Lorsqu’il refroidit, il se rigidifie et peut alors être retirer par « peeling » dès le moment ou le nettoyage est jugé suffisant. Pour préparer un gel d’Agar-agar sur mesure, on pourra agir sur certains paramètres comme la température et le nombre de cuisson, le mode de cuisson (bain-marie ou micro-onde), la température d’application, la concentration en gel, etc. En jouant sur ces paramètres on va surtout chercher à obtenir un gel qui est assez liquide lors de l’application pour épouser les gravures des plaques, mais qui sera assez cohésif après refroidissement pour permettre un retrait du gel sans dépôt, ni déchirure. La présence de bulles et la transparence du gel sont aussi des facteurs qui sont observés. Pour tester tous ces paramètres, il n’est pas question de multiplier les essais sur l’objet directement. Nous avons alors conçu et fabriqué une plaque en Plexiglas® sur laquelle nous avons gravé toute une série de motifs, plus ou moins fins et profonds :

Motifs de la plaque avec pour chaque couleur une profondeur de gravure différente (gauche) et gravure au laser en cours réalisée au Fablab de Neuchâtel (droite).

Comme première campagne de test, nous avons comparé différentes préparations de gels et leur capacité à épouser les gravures avant d’être pelées sans arrachement. Pour mieux distinguer d’éventuels dépôts, nous avons utilisé un colorant avec un marqueur fluorescent, de la rhodamine-B. En plus de toutes les variations de préparations, deux types de gels d’agar -agar ont été testés : l’Agar’art® et le Nevek® de chez CTS. Le premier est sous forme de poudre et doit passer par toutes les étapes de préparation (deux cuissons recommandées pour garantir une gélification totale), et le Nevek est déjà sous forme de gel. Bien qu’il soit « prêt-à-l’emploi » pour certains usages, nous avons quand même besoin de le chauffer pour l’appliquer sous forme liquide. Une douzaine de gel ont donc été préparés, coulés à chaud sur la plaque gravée, puis pelés après rigidification :

Vue des étapes d’application d’un gel sur la plaque en Plexiglas® gravée.
Vue du gel après avoir été pelé de la surface de la plaque gravée. On voit bien qu’il a pénétré complétement dans les gravures.

Lors de nos essais sur coupons, nous avions retenu deux complexants aux accronymes barbares : l’EDTA tétrasodique et l’EDDS. Ces deux produits ont la particularité d’être alcalins et malheureusement, les gels d’Agar sont connus pour se dégrader dans ces conditions. Comme on ne croit que ce que l’on voit, nous avons réalisé des essais pour mieux comprendre l’impact du pH sur les propriétés du gel. Nous avons donc testé deux pH différents : 10 et 12. Rapidement on s’est rendu compte que plus la température de cuisson était élevée et durable, plus le gel devenait brunâtre. Nous avons donc également testé l’ajout du complexant entre les deux cuissons de l’Agar’art pour limiter la dégradation du gel. Le résultat est sans appel, le gel se dégrade significativement à un pH12, devenant brunâtre et perdant sa capacité de gélification et de rétention de l’eau. À un pH10, le brunissement est bien plus léger et peut être quasiment éliminé lorsque l’on ajoute le complexant entre les deux cuissons et/ou qu’on ne dépasse pas les 80°C un fois le produit ajouté. Les propriétés du gel sont impactées de manière négligeable et les essais sur la plaque sont équivalent aux essais sans complexant.

Mesure de la dégradation du gel en fonction du pH et du mode de cuisson

Tous ces essais nous ont permis d’avoir une compréhension et une maitrise fine des paramètres qui influe sur les propriétés des gels d’Agar. Appliqué sur une plaque de métal gravé, le gel va se comporter un peu différemment que sur des surfaces en Plexiglas®. Des derniers ajustements ont donc été réalisé directement sur une plaque, mais sans ajouter le complexant pour l’instant. Ce dernier test a permis de définir la quantité de gel nécessaire pour couvrir une plaque entière et tester le montage pour éviter que le gel ne se glisse au-dessous de la plaque et génère des taches au revers.

Peeling d’un gel d’Agar-art appliqué sans complexant sur la plaque représentant saint Maurice en gloire. On voit bien que le gel a épousé parfaitement toutes les gravures et peut être retiré en un seul morceau, sans arrachement, ni dépôt.

Pour conclure, nous n’avons pas retenu le Nevek® car sa préparation est moins reproductible. En effet, il contient une part d’alcool pour éviter un développement de moisissure durant le conditionnement. Durant la cuisson, son évaporation n’est pas contrôlée, avec comme conséquence une viscosité fluctuante malgré des préparations similaires. Pour les plus curieux, nous avons finalement choisi d’utiliser un gel d’Agar-art concentré à 4%, avec double-cuisson au bain-marie pour éviter les bulles et maîtriser la température ce qui n’est pas possible avec une cuisson au micro-onde. Le complexant, ici l’EDDS, est ajouté entre les deux cuissons, avec une deuxième montée en température plafonnée à 80°C. Quant au gel, il est coulé sur la surface de l’objet à une température de 70°C.

Pour voir les résultats du nettoyage, il faudra attendre la prochaine news 😉

De trésor en trésors – L’atelier de restauration de l’Abbaye exporte ses compétences

De trésor en trésors – L’atelier de restauration de l’Abbaye exporte ses compétences

En 2023, l’atelier de restauration de l’abbaye de Saint-Maurice (Valais, Suisse) collabore au sein d’un projet européen « COST Innovators Grant (IG) » pour la diffusion d’outils d’analyse portables, low-cost, peu invasifs, des métaux patrimoniaux (http://endlessmetal.portasap.eu/index.html). L’un de ces outils est le pinceau électrolytique – Pleco®, que l’atelier avait développé en collaboration avec la HE-Arc de Neuchâtel pour le nettoyage du ternissement des reliquaires du trésor de l’abbaye. Ce projet est porté par Christian Degrigny, professeur à la HE-Arc, à qui l’on doit l’apport des compétences en électrochimie appliquées pour le traitement de la châsse de St-Sigismond et ses enfants et plus tard pour le développement du Pleco®. Le projet COST implique de nombreux échanges, formations et ateliers dans toute l’Europe. Neuchâtel, Ljubljana, Toulouse, Gdansk, Timisoara et Porto sont autant de lieux qui accueillent l’organisation de ces moments de partages passionnants.

Le dernier en date s’est déroulé du 16 au 17 mai 2023 au Musée National de Hongrie à Budapest, sur l’invitation de Balazs Lencz, responsable du secteur conservation. L’objectif de ces deux journées a été d’analyser avec le Pleco® les produits de corrosion qui se développent sur des objets archéologiques en argent datant de la fin de l’Empire romain (Ier au IVe siècle) Deux trésors d’objets en argent sont concernés : celui de Seuso (https://seuso.mnm.hu/en#&chrp=13&sobj=0) du Musée National de Hongrie et apparu sur le marché de l’art en 1980 et celui de Vinkovci trouvé en fouille en 2012 en Croatie (https://en.wikipedia.org/wiki/Vinkovci_Treasure).

Trésor de Seuso conservé au Musée National de Hongrie. ©MNM

Christian Degrigny (HE-Arc CR) et Nataša Nemeček (Musée National de Slovénie) ont analysé avec Balazs Lencz le ternissement d’une aiguière du trésor de Seuso tandis qu’Eva Menart (Musée National de Slovénie) et Romain Jeanneret (Abbaye de St-Maurice & HE-Arc) ont travaillé sur un fragment d’un plat du trésor de Vinkovci apporté par Damir Doračić et Ivana Mlinarić du Musée Archéologique de Zagreb. 

Trésor de Vinkovci avec localisation du fragment n°3 étudié pendant le workshop à Budapest photo : D. Bota ©City Museum Vinkovci

Pour ce qui est du fragment du trésor de Vinkocvi, c’est la première fois qu’on utilise le Pleco® pour l’analyse d’une couche de corrosion archéologique. Cette altération composée surtout de chlorures est appelée « argent corné ».  Il est compliqué de nettoyer cette épaisse couche de corrosion qui défigure la surface du métal autrement que par des moyens mécaniques et des solutions chimiques comme l’ammoniaque. L’équipe de Damir continue de tester de nouvelles méthodes (abrasion laser et plasma), mais pour l’instant, seul le nettoyage mécanique au scalpel et/ou un nettoyage chimique à l’ammoniaque donne des résultats satisfaisants pour révéler et conserver les informations de surface. Ces traitements requièrent de grandes précautions dans leur mise en œuvre pour mettre au jour les décors, souvent situés au milieu des produits de corrosion.

Le Pleco® a d’abord été testé sur le revers du fragment, en périphérie d’une zone non corrodée, au niveau d’une fine couche de corrosion, puis sur des couches plus épaisses. Les tracés voltammétriques ont bien montré la réduction de chlorures d’argent :

Ces résultats sont encourageants pour des surfaces faiblement corrodées. Naturellement, les couches de corrosion plus épaisses sont plus difficiles à réduire. Il est à noter que la surface d’origine que l’on souhaite retrouver et conserver se trouve à l’intérieur de la corrosion. Pour un traitement de conservation-restauration, le Pleco® serait peut-être adapté en combinaison avec d’autres méthodes de nettoyage. On pourrait retirer les couches de corrosion externes au scalpel, puis appliquer le Pleco® pour réduire la corrosion interne restante en métal, et ainsi retrouver l’éclat de l’argent.

Un deuxième essai a été entrepris sur la face du fragment ou certaines zones sont dorées, bien qu’aujourd’hui complétement recouverte de corrosion de l’argent. Ici, la surface d’origine est clairement définie par la dorure ce qui est une configuration plus favorable pour le Pleco®. Fort de nos expériences sur des objets en argent doré du trésor de l’abbaye de St-Maurice, nous pouvons ici reproduire le protocole par une réduction des chlorures d’argent en argent métallique avant de réoxyder l’argent réduit et ainsi révéler l’or. Le résultat de ces essais est prometteur, puisque nous avons été en mesure de réduire puis détacher la corrosion présente en surface de la dorure. Toutefois cela prend un temps certain, et pour une zone de 2cm2, il faut compter environ 4 heures. Par manque de temps, nous n’avons pas été en mesure de terminer le nettoyage d’une zone, mais les résultats partiels sont très visibles :

Vue de détail du fragment n°3 avant/après nettoyage partiel des chlorures d’argents sur une surface dorée. (nettoyage en cours) © Damir Doračić.

À la vue du nombre de pièces que contient le trésor de Vinkovci, le Pleco® ne semble pas être une solution miracle et ne devrait pas remplacer les méthodes traditionnelles utilisées jusqu’ici. C’est surtout sur des zones dorées, que l’outil peut s’avérer une méthode complémentaire, bien qu’assez chronophage. Dans d’autres cas, pour des objets archéologiques en argent doré de plus petites dimensions, le Pleco® semble être une alternative tout à fait indiquée qu’il convient d’explorer et d’améliorer pour le futur.

Expérimenter des méthodes de traitement – Des poules, du gel et des coupons ternis

Expérimenter des méthodes de traitement – Des poules, du gel et des coupons ternis

Lorsque l’on expérimente des méthodes de restauration, il faut évidemment éviter que ce soit à l’objet d’en faire les frais. Certaines expériences peuvent laisser des traces, endommager la surface ou faciliter des dégradations futures. Dans le cas des plaques en cuivre argenté de la châsse de l’abbé Nantelme (voir news), beaucoup de questions subsistent quant à la nature de son oxydation. Doit-on s’attendre à un ternissement composé de corrosion de l’argent, comme son revêtement le laisse supposer ou alors de corrosion du cuivre provenant du cœur de la plaque ? Peut-être un mélange des deux, mais s’agit-il alors d’oxydes, de chlorures ou de sulfures ? Qu’en est-il du mercure résiduel utilisé pour argenter la surface ? Joue-t-il un rôle dans le ternissement et peut-il entraîner des effets secondaires lors du nettoyage ? Toutes ces questions sont importantes pour choisir une méthode adaptée au nettoyage du ternissement. La première piste serait d’analyser la nature de cette oxydation et de choisir le traitement en fonction du résultat. Sur le papier cela paraît simple, mais l’analyse d’une couche aussi fine que le ternissement est bien plus complexe qu’il n’y parait et les résultats ne sont souvent que partiels et sujet à interprétation. L’autre option, celle que nous avons retenue, est de fabriquer des coupons métalliques, de les vieillir artificiellement et d’y tester directement les méthodes de traitement que l’on souhaite comparer.

Soyons clair, il est vain de vouloir imiter un ternissement naturel de plusieurs siècles ou de recréer une argenture au mercure pour des raisons tant techniques que de toxicité. Ici, nous avons choisi quatre types de coupons pour tenter de recréer séparément les spécificités du ternissement de la châsse. Pour cela, nous avons choisi du cuivre pur, de l’argent pur, un alliage argent cuivre (Ag925) et un cuivre argenté. La surface de ces coupons a été nettoyée et préparée soigneusement pour éviter toute forme de pollution et garantir une certaine reproductibilité.

Vue des coupons métalliques après préparation des surfaces

Il est communément admis que le soufre est responsable du ternissement de l’argent. Bien que le soufre soit présent dans l’atmosphère naturellement, il faudrait plusieurs mois, voire plusieurs années pour que les coupons se ternissent naturellement. Pour oxyder plus rapidement des coupons nous devons donc reproduire artificiellement des conditions très défavorables et ainsi accélérer ce processus. Pour cela, il faut augmenter la concentration en soufre dans un environnement chargé d’humidité et légèrement tempéré. C’est là que les poules de l’abbaye entrent en jeu. Plus précisément, leurs œufs, puisqu’une fois cuit, ils vont dégager des vapeurs soufrées désagréables mais tout à fait indiquées pour ternir des coupons métalliques en quelques heures seulement :

Les poules de l’abbaye et le détournement de leur production pour la science avec le vieillissement artificielle des coupons métalliques.

Une fois les coupons ternis, nous avons présélectionné deux techniques de restauration complémentaires. La première étape consiste à l’application à chaud d’un gel d’agar-agar contenant un agent actif que l’on appelle un chélatant. Ce produit a pour propriété de capturer tout ou parties des cations métalliques (ici le cuivre) présent dans le ternissement. Il existe plusieurs de ces produits, et appliqué avec certains pH, ils vont avoir une action plus ou moins efficace sur le ternissement. Différents produits, à différent pH ont donc été testés sur nos coupons. Comme le ternissement de l’argent n’est pas sensible à cette technique, une deuxième étape est nécessaire. Pour cela on utilise un pinceau électrolytique, le Pleco® qui va permettre de réduire les chlorures et sulfures d’argent restant. C’est d’ailleurs avec cet outil que nous avions réduit le ternissement de la Grande châsse de saint Maurice (voir news).

Vue des étapes de tests sur les coupons avec la mesure de la température du gel, son application sur un groupe de coupons et finalement un deuxième traitement de réduction avec le Pleco

Après une première appréciation visuelle du résultat, des mesures analytiques ont été réalisées pour mesurer l’efficacité des différents produits sur chaque coupon. Pour cela, on compare certaines propriétés du ternissement avant et après le nettoyage. Cela nous permet  donc d’évaluer l’efficacité des traitements et d’en favoriser certains au détriment d’autres. Ces analyses électrolytiques, appelée voltammétries linéaires, sont réalisées directement par l’équipe de l’atelier de restauration.

Vue de l’analyse par voltammétrie linéaire de l’efficacité des traitements sur les coupons (en arrière-plan) et le détail de la zone de mesure avec une électrode de référence et une goutte d’électrolyte.

Cette première campagne expérimentale a deux vertus. Elle permet de réduire le nombre de produits et de variables lorsque l’on passera aux essais réels sur la châsse tout en affinant notre mode opératoire. D’autres tests complémentaires sont encore prévus pour répondre à de nouvelles interrogations avant de pouvoir passer ensuite sur la châsse en toute connaissance de cause.   

Un métal peut en cacher un autre…

Un métal peut en cacher un autre…

La châsse de l’abbé Nantelme est constituée de plaques métalliques clouées sur une âme en bois. Le principe est donc le même que la Grande châsse de saint Maurice à ceci près que le métal et les techniques de décor sont très différentes. Si pour la Grande châsse il s’agit essentiellement de plaques en argent repoussées, la châsse de l’abbé Nantelme, est ornée de plaques dont le décor est obtenu par ciselure et gravure. 

Au premier abord, la surface d’aspect gris foncé fait penser à de l’argent terni dont certaines zones sont dorées. Cependant, une observation minutieuse permet de voir, ici et là, de petites zones orange-brunes typiques de la couleur du cuivre. Alors argent ou cuivre ? Eh bien, tout simplement les deux. En fait, ces plaques sont constituées de cuivre avec une couche d’argent en surface, donnant à l’observateur l’illusion d’une châsse en argent.

Détail de la plaque représentant Synagoga avec une zone sans argenture laissant apparaitre le cuivre sous-jacent. En jaune on distingue clairement la dorure.

Il existe toutes sortes de techniques pour argenter le cuivre. Si plusieurs méthodes industrielles sont brevetées au XVIIIe et au XIXe, comme le « French Plating », « Close Plating », placage Sheffield ou placage électrolytique, des techniques similaires étaient parfois déjà appliqués de manière artisanale. Il n’est donc pas recommandé d’exclure ces méthodes modernes d’argenture lors des observations et des analyses. Quant à nos connaissances des techniques anciennes, elles sont parvenues jusqu’à nous grâce à certains traités, dont l’un des plus connus est celui du « Moine Theophilus » regroupant des textes du 11 et 12ème siècle. Mais ce sont surtout les objets eux-mêmes qui sont les témoins matériels et objectifs des technologies d’argenture des ateliers antiques et médiévaux.

En étudiant la littérature et les études d’objets patrimoniaux argentées de cette période on peut distinguer des indices qui peuvent nous aider dans notre identification. Visuellement on s’intéressera par exemple au fait que l’argenture recouvrent tout ou partie de l’objet, ainsi qu’à l’état de ses délimitations (franches et géométriques ou composées de tâches). Grâce au démontage, on peut observer que les plaques de la châsse de Nantelme ne sont argentées que sur la face visible. On peut également voir des débordements au revers sous forme de tâches et de coulures. Bien que très informatif, ces indices ne sont pas suffisants pour garantir une identification, c’est pourquoi il a été décidé de se tourner vers des techniques analytiques. Pour cela, il faut bien savoir ce que l’on cherche. La première étape serait d’identifier un élément chimique qui ne se trouve que dans l’une ou l’autre des techniques d’argenture. C’est par exemple le cas de l’étain qui sert de brasure tendre pour le « close Plating » ou le mercure que l’on trouve en proportion variable en fonction de son emploi dans une argenture dite « chimique ou à frotter » ou pour une argenture au feu. En l’absence de trace de mercure et d’étain, on orientera alors notre diagnostic vers des techniques proches du « french Plating » ou du placage Sheffield qui permettent de souder directement des feuilles d’argent sur une surface de cuivre en chauffant l’ensemble à des température proches de 800°C. À ces températures le cuivre diffusera dans l’argent pour abaisser son point de fusion et permettre une soudure à l’interface entre le support et le placage. Qu’en est-il alors de la châsse de Nantelme.

Vue recto-verso de la plaque représentant la nativité de la châsse de Nantelme. Sur le verso on voit les débordements et les tâches formées par l’argenture.

En 2022, nous avons lancé une campagne d’analyse en partenariat avec l’Unité de recherche de la Haute Ecole Arc de Neuchâtel. Christian Degrigny, également membre de la commission scientifique de notre projet, est venu étudier ces plaques avec une analyseur portable à fluorescences de Rayons-X (p-FRX). Cette technique permet d’identifier les éléments présents dans l’alliage de manière semi-quantitative. Cela implique qu’on pourra approximer la proportion des éléments présents, sans pouvoir déterminer les pourcentages avec certitude. De plus, les Rayons-X émis par l’instrument pénètrent sensiblement dans la matière. Dans le cas d’une argenture, l’analyse donnera un résultat sans distinction entre les éléments présents dans la couche de surface et les éléments en dessous. Il est donc fondamental lors d’une analyse de connaître, tant les limites de l’analyseur que les différentes technologies métallurgiques, pour pouvoir interpréter les résultats en tout discernement.  

Christian Degrigny et Léopold Rémy (stagiaire) positionnant avec soin l’analyseur monté sur trépied
pour analyser une zone représentative.
Détail d’une analyse sur l’argenture de la plaque « Synagoga » de la châsse de l’abbé Nantelme.

Pratiquement, nous avons réalisées une série d’analyse tant sur les faces argentées que sur les revers sans revêtements. On interprétera plus facilement les résultats d’analyse de l’argenture puisque l’on pourra exclure des mesures les éléments présents dans le support. Il ressort des analyses p-FRX une forte présence de mercure dans l’argenture. Bien que des sels de mercure soient parfois utilisés pour des argentures chimiques dites « chimique ou à frotter », la quantité mesurée est significative et semble indiquer une argenture par amalgamation au mercure. Cette technique très répandue pour la dorure est bien moins courante pour l’argenture. L’argent, sous forme de feuille est mélangé à du mercure – liquide à température ambiante – pour former un amalgame entre les deux métaux. Cette pâte est ensuite appliquée au pinceau sur la surface à argentée avant d’être passé au feu. Le mercure ayant une température d’évaporation très basse, il va s’évaporer rapidement en laissant l’argent en surface.

Cette technique d’argenture n’a que très rarement été identifié sur des objets médiévaux. En fait elle n’a jamais été identifié sur un objet de cette dimension ! Compte-tenu de l’intérêt de cette découverte, d’autres analyses sont envisagées pour consolider cette hypothèse. Il reste également à étudier le ternissement pour vérifier l’impact du mercure dans la formation de cette couche. Si le mercure participe au ternissement, une recherche doit être entreprise pour développer ou affiner des méthodes de restauration pour réduire ce ternissement en toute maîtrise. Le travail ne fait que commencer…  

Trois petits sous trouvés derrière une « plinthe ».

Trois petits sous trouvés derrière une « plinthe ».

Lors de travaux de rénovation d’un appartement, il est courant de tomber sur une pièce de 5 centimes glissée derrière une plinthe. Même si l’événement n’a rien d’extraordinaire, on ne peut s’empêcher de pousser un petit « oh » de surprise, tout en imaginant un facétieux menuisier de la fin du XXe siècle y placer le fond de ses poches. Inutile de dire que lorsque nous avons découvert la présence de trois pièces médiévales, déposées sur la châsse à l’intention de l’histoire, l’émotion fût vive. Ces monnaies retrouvées sous le long bandeau inférieur de l’une des grandes faces pourraient bien être plus que le témoin de la « farce » d’un artisan. Avec l’aide précieuse de Gilles Perret, responsable du Cabinet numismatique du Musée d’Art et d’Histoire de Genève, nous avons pu identifier ces trois monnaies pour nourrir nos recherches.

Indication de l’emplacement et le type des trois monnaies trouvées lors de la dépose des reliefs de la châsse de Nantelme
  1. Une bractéate est une pièce de monnaie très mince, frappée d’un seul côté. Cette technique, née en Allemagne centrale au XIIe siècle, est aussi répandue en Suisse alémanique pour la frappe des deniers jusqu’au XIVe siècle (Source : Olivier Frédéric Dubuis: “Bractéate”, in: Dictionnaire historique de la Suisse (DHS)). Le quadrupède sur la bractéate est un ours représentant la ville de Berne, un modèle vraisemblablement frappé en 1225.
  2. Le monnayage du denier anonyme Beata Virgo de l’évêché de Lausanne est daté de la première moitié du XIIIe par Brigitte Rochat (Cahiers Romands de Numismatique, n°3 de 1994). L’exemplaire trouvée sur la châsse est de la 3ème série sur 7, mais nous n’avons pas de chronologie relative aux différentes séries. C’est toutefois la plus abondante, et se situe assez au début de la période de production, se rapprochant donc du premier quart du XIIIe siècle. Ce denier apparait très usé ce qui pourrait témoigner d’une longue circulation avant d’arriver sur la châsse de Nantelme. Toutefois, cette usure semble plutôt provenir de la dégradation du coin de frappe lors de la fabrication que d’une abrasion liée à l’usage.
  3. Quant au denier d’Amédée III de Savoie, c’est la plus ancienne des trois monnaies trouvées sur la châsse puisque son monnayage s’étend tout au long de la première moitié du XIIe siècle. Ce n’est pas la première fois que cette monnaie est retrouvée dans un reliquaire du trésor, puisqu’un même denier (a) occupait l’intérieur de la cavité des reliques du Chef reliquaire de saint Candide (vers 1160) en compagnie d’une obole genevoise du début du XIIIe siècle (b) et rajoutée plus tard, peut-être même par l’Abbé Nantelme, commanditaire de la châsse éponyme :
Vue du Chef reliquaire de saint Candide sans ses ornements lors de l’étude du professeur Rudolf Schnyder dans les années 1960. Au centre, on peut voir l’intérieur de la cavité contenant les sachets de reliques (ici sans la calotte crânienne) et les deux pièces de monnaie.

Bien malin qui saura expliquer la présence de ces monnaies frappées à des périodes et des lieux différents. S’agit-il d’un acte de fondation ? Faut-il y voir un indice de l’identité des personnes ayant commandité, financé ou réalisé la châsse de Nantelme ? On constate que ces trois pièces sont toutes situées sur la face où est représentée l’histoire de Maurice avec son martyre et son triomphe. C’est aussi la face qui comprend l’inscription commémorative. Cela pourrait indiquer qu’elle était la « belle » face tournée vers l’audience. La bractéate bernoise était disposée seule sous la représentation de l’Empereur Maximianus, commanditaire du martyre des thébains, tandis que les deniers d’Amédée III et de l’Évêché de Lausanne étaient groupées sous la décollation de Maurice. Faut-il y voir plus que du hasard ? Il est aussi tentant que risqué de vouloir y trouver une raison ou prêter une intentionnalité aux auteurs. On peut se rassurer malgré tout en constatant que les dates de monnayage correspondent bien avec la mise en œuvre supposée de la châsse. Cette trouvaille, qui n’as pas encore révélé tous ses secrets, serait donc liée au moment de la fabrication du reliquaire plutôt que d’un événement ultérieur où les pièces auraient été glissées sous la bordure après fabrication de la châsse.

Une châsse digitale à étudier depuis son canapé

Une châsse digitale à étudier depuis son canapé

Modèles numériques de la châsse de l’abbé Nantelme en nuage de points (à gauche) et avec l’application de la texture (à droite)

Avant de commencer le démontage, la commission scientifique a suggéré de réaliser un modèle 3D de la châsse. Comme nous le verrons, l’idée est séduisante à plus d’un titre. Il existe toute une gamme de technique de numérisation d’objet, mais c’est la photogrammétrie qui était la plus adaptée ici. Cette technique consiste à prendre toute une série de photographies sous différents points de vue de l’objet dans le but de réaliser un modèle numérique en 3 dimensions. Le résultat est un nuage de points reliés entre eux par des surfaces en triangle. La texture des prises de vue est ensuite appliquée par un logiciel dédié pour obtenir une copie numérique à l’aspect de surface réaliste. Ce travail a été confié à l’entreprise Archéotech SA, basée à Épalinges. Spécialiste depuis plus de 40 ans des méthodes de documentation digitale comme les relevés techniques, la géo-information et la modélisation 2D et 3D.

Le photographe d’Archéotech SA pendant le travail de prises de vues au printemps 2022

La réalisation d’une copie numérique a plusieurs intérêts. Premièrement, il s’agit de créer un document qui va sauvegarder la châsse de l’abbé Nantelme dans son état avant restauration. Les volumes, les reliefs, la texture et les états de surfaces sont ainsi archivés. En tout temps, l’équipe de l’atelier de restauration pourra y revenir pour vérifier la position de chaque pièce, leurs déformations spécifiques et l’emplacement de certaines altérations. Le modèle digital étant calibré métriquement au 1/10e de mm, il est possible de mesurer toute sorte d’éléments pour étayer l’étude. On pourra par exemple comparer, au pixel prêt, les motifs décoratifs, les proportions des personnages et les traces de certains outils. Il y a un grand potentiel, mais il s’agira de poser les bonnes questions pour en tirer des réponses pertinentes.

L’interdisciplinarité est un enjeu primordial pour l’étude matérielle. Tout au long du projet, orfèvres, métallurgistes, historien.ne.s de l’art et bien d’autre vont participer à l’analyse du reliquaire. L’accès au modèle numérique permet de se représenter plus facilement l’objet dans son entier, alors que ses reliefs sont aujourd’hui démontés. Rien ne remplace l’objet, mais l’étude de l’iconographie sur un modèle 3D est plus conviviale et plus libre que sur des photographies. Qui plus est, cela peut se faire par plusieurs personnes simultanément depuis différents endroits. Nous nous attendons à générer toute une masse de données, que ce soient des observations visuelles, des photos de détail, des résultats d’analyses ou des rapports de spécialistes. Nous envisageons d’utiliser le modèle numérique comme support sémantique. Des chercheurs du monde entier pourront donc accéder aux observations et analyses brutes par un simple clic sur l’une des plaques, plutôt que de devoir parcourir quantité de dossiers et de rapports pour mettre la main sur de précieuses informations.

Détail du modèle 3D permettant de conserver une archive de la châsse avant restauration. On voit ici les déformations des plaques, l’absence de clous, et même l’état du bois visible sous les ornements.

Pour terminer et cela n’est pas négligeable, l’aspect pédagogique, voir ludique pour le public. La manipulation d’un modèle numérique nous rend acteur de la découverte de l’objet. L’attention sera captée plus facilement par un modèle 3D que par une photographie.

Il est temps pour vous de constater cela par vous-même en manipulant la châsse de l’abbé Nantlelme. Ah oui, et n’oubliez pas de regarder dessous. On oublie toujours de regarder dessous.

On ne dépose pas d’ornements sans casser des clous…

On ne dépose pas d’ornements sans casser des clous…

Face aux 2000 clous et aux 400 ornements de la Grande châsse de saint Maurice, le démontage de la châsse de Nantelme devait être à la portée de l’atelier de restauration. C’est évidemment un peu plus compliqué que cela car, contrairement à la Grande châsse, les clous ne sont pas en alliage d’argent, métal dont l’expérience a montré qu’ils étaient relativement faciles à extraire.

Sur la châsse de Nantelme, on dénombre environ 350 clous de plusieurs types et correspondant vraisemblablement à trois interventions sur le reliquaire. Les trois-quarts des clous, en cuivre argenté, correspondent à ceux d’origine et datent de la fabrication de la châsse. On trouve ensuite environ 80 clous en fer doté d’une grosse tête hémisphériques et provenant d’une modification du reliquaire ayant occasionné l’ajout de plaquettes émaillées sur les deux pignons. Puisque ces clous se retrouvent aussi préférentiellement sur la base des longs côtés du toit, il est tentant d’y voir un lien avec une modification du système d’ouverture et l’ajout d’un premier système de charnière. On peut encore rajouter une dizaine de petits clous en laiton et des plus gros en fer forgé disposés respectivement autour de la serrure et sur les charnières actuelles ce qui pourrait témoigner d’une ou de deux modifications plus récentes.

Démontage des ornements de la châsse de l’abbé Nantelme avec une vue sur le pignon du christ avec ses plaquettes émaillées fixées par les clous en fer.

Pour revenir au démontage, il faut savoir que les clous en fer ont une fâcheuse tendance à corroder dans certains types de bois, renforcé en cela par le contact avec les plaques de cuivre. Puisque l’on travaille sur un objet d’une grande importance patrimoniale, il a tout de suite été exclu d’utiliser des produits pouvant faciliter le retrait des clous comme des anticorrosion ou des huiles. Ces produits se diffuseraient inévitablement dans le bois et produiraient à terme des risques pour la conservation du reliquaire en plus de former des tâches irréversibles dans le bois.  Il était donc attendu que le retrait de ces 80 clous en fer allait poser des problèmes et ne serait malheureusement pas sans dommage pour les principaux concernés.

Pour l’extraction des clous, des pinces ont été modifiées pour épouser au mieux les profils des têtes et pour éviter de marquer les surfaces de la châsse. Durant le démontage de l’intégralité des ornements, ceci a bien fonctionné puisque nous n’avons constatés aucun dommage sur les plaques ornementales. Si le retrait des clous en cuivre argenté n’a pas posé de problème particulier, ce fût plus compliqué pour les clous en fer. Pour les extraire, cela a nécessité d’appliquer beaucoup de force. Cette opération a engendré des dégâts sur environ 1/3 des clous, qu’il s’agisse de déformation de la tête et/ou de son arrachement complet. Ceux qui le pourront seront restaurés et pour les autres, ils seront remplacés par des fac-similés pour conserver à minima les informations visuelles des modifications de la châsse de l’abbé Nantelme.

Détail de l’extraction d’un clou en fer avec une pince modifiée spécifiquement pour l’opération

Vue rasante des clous conservés sur une carton-plume imprimé afin de retrouver leur emplacement d’origine. On y voit les différents types de clous ainsi que des punaises rouges aux endroits où les clous ont été endommagés

Vue du pignon de la sainte Vierge en cours de démontage. On distingue notamment les surfaces argentées protégées du ternissement par la superposition des bordures.
Châsse de l’abbé Nantelme, ouvre-toi !

Châsse de l’abbé Nantelme, ouvre-toi !

Cette prière a été scandée en désespoir de cause après de longues heures passées à essayer d’ouvrir la châsse. Rien n’y fait, le reliquaire restait sourd à nos supplications, retour sur une ouverture mouvementée…

Tout commence quand il faut trouver la clé de la serrure de la Châsse de l’abbé Nantelme. L’abbaye de Saint-Maurice d’Agaune est grande, dotée de nombreuses pièces contenant de nombreuses boites qui elles-mêmes contiennent de nombreuses clés.  Heureusement, la mémoire du lieu est grande et grâce aux souvenirs combinés du Procureur et du Conservateur, on se souvient d’un petit coffret en bois, faisant parti du petit Trésor et qui contenait fort heureusement la précieuse clé.

Le dispositif d’ouverture de la châsse de l’abbé Nantelme a été modifié au cours du temps. Le système d’origine n’est pas encore identifié, bien que des traces laissent penser à un toit amovible venant se ficher sur un système de chevilles. Ce qui est sûr, c’est que deux systèmes à charnières se sont succédés avant qu’un système de fermeture à serrure, encore présent, aujourd’hui ne s’y ajoute. Ce dispositif a été probablement bricolé à partir d’une serrure d’armoire et adapté sur la châsse au milieu du XXe siècle si l’on pense à une opération commune avec l’ajout d’une serrure sur la Grande châsse en 1958.

L’ouverture de la châsse ne devrait plus être qu’une formalité, mais c’était sans compter sur une serrure peu coopérante. La clé tourne difficilement et on sent une grande résistance du pêne qui manifestement n’est pas totalement libéré de la gâche.  Pour une meilleure visibilité, la bande ornementale courant à la base du toit est déposée. On y découvre un bois très abimé, probablement en raison d’anciennes ouvertures forcées en se servant d’un levier. Nous ne sommes visiblement pas les seuls à avoir éprouvé des difficultés… Daniel Thurre, historien, avait déjà constaté ces dégâts lors d’une ouverture dans les années 80. Cela nous indiquant qu’ils pourraient être liés au remplacement de la serrure eu milieu du XXe.

Vue des dégâts du bois de la Châsse de l’abbé Nantleme lors d’une ouverture forcée

Une meilleure visibilité, nous permet de comprendre le principe du système de fermeture où deux pênes s’écartent pour venir se ficher de part et d’autre du coffre. Le problème n’est toujours pas réglé, car même en forçant la clé et les pênes, le système reste bloqué. Il faut attendre le renfort d’un 3ème homme, Jean-Emile Gay, menuiser de l’abbaye, pour qu’enfin le système cède, nous permettant d’ouvrir enfin la châsse de l’abbé Nantelme !

À l’intérieur on y découvre une boite en tôle aux dimensions du coffre de l’abbé Nantelme. Elle porte l’inscription de la main du chanoine Léo Müller datée du 16 juin 1958 :

REL. SS. MM. THEB. COMMILITONUM S. MAURITII QUAE ASSERVANTUR IN ARCA DEARGENTATA QUAE DICITUR NANTELMI HUJUS LOCI ABBATIS

Coffre en tôle contenant les reliques de saint Candide et saint Innocent. On distingue en arrière plan le système de charnière actuel à côté des traces du système antérieur.

Si aujourd’hui la châsse de l’abbé Nantelme contient les reliques des saints Candide et Innocent, les recherches indiquent qu’elle abritait, entre le XIIIe et le XVIIe, les reliques de saint Maurice avant qu’elles soit déposées dans la Grande châsse.

La commission scientifique pour lancer les travaux sur la châsse de l’abbé Nantelme

La commission scientifique pour lancer les travaux sur la châsse de l’abbé Nantelme

Le 20 janvier 2022 a marqué le début des travaux sur la châsse de l’abbé Nantelme. Pendant deux jours, l’équipe de l’atelier de restauration a reçu à St-Maurice la nouvelle commission scientifique. Composée d’historien.ne.s de l’art, de scientifiques du patrimoine et de professionnel.le.s de la conservation-restauration cette équipe pluridisciplinaire et internationale apporte une expertise précieuse pour l’étude et la restauration de ce coffre reliquaire.

Vue d’une partie des membres de la commission scientifique en discussion autour de la châsse de l’abbé Nantelme.

Ces deux jours ont été l’occasion pour l’équipe de l’atelier de restauration de présenter l’état des connaissances sur la châsse de Nantelme et d’exposer les futures pistes de recherche. En ce qui concerne sa datation, et contrairement à la Grande châsse de saint Maurice, la châsse de l’abbé Nantelme est mieux située dans l’histoire de l’abbaye grâce à une inscription courant le long de sa crête :

« L’an de grâce 1225. Le 7 des calendes de novembre (le 26 octobre), le corps du bienheureux Maurice fut relevé et déposé dans ce reliquaire au temps de Nantelme, abbé de ce lieu »

Détail de l’inscription sur la crête de la châsse les mots « AGNO : GRACIE : MILLESIMO » sur la première ligne et ensuite « PVS : BEATI : MAVRICII : ET : IN : HOC » sur la seconde

En plus des recherches historiques, iconographiques et artistiques, il est prévu d’étudier les matériaux et les techniques de fabrication de ce coffre reliquaire. La grande qualité des décors ciselés et gravés ainsi que les techniques d’argenture et de dorures du cuivre ont été peu étudiés pour cette période du Moyen Âge. À n’en pas douter, la châsse de l’abbé Nantelme, pourrait bien nous réserver de belles surprises et s’avérer un reliquaire unique en son genre. La commission scientifique ayant accepté que l’atelier de restauration dépose l’entier des plaques ornementale de ce reliquaire, cela nous permet d’espérer de belles découvertes.

Révélation de la Grande châsse restaurée

Révélation de la Grande châsse restaurée

Mardi 21 septembre 2021, à la veille des célébrations de la saint Maurice, la Grande châsse de saint-Maurice restaurée a été révélée en avant-première. En présence des mécènes et du collège de spécialistes du patrimoine ayant collaboré au projet, les travaux, les découvertes et les résultats de la recherche ont été présentés par l’équipe de l’atelier de restauration.

La conférence a été donnée devant plus de 50 personnes regroupant les mécènes, la presse, les chanoines, les spécialistes et collaborateurs. © Raphaël Zbinden – Cath.ch

Conviée pour l’événement, la presse a répondu présente nous permettant de partager ce moment unique au-delà des murs de l’abbaye. Morceaux choisis:

RTS – 12h45

https://www.rts.ch/play/tv/12h45/video/quatre-annees-de-restauration-ont-permis-de-percer-certains-mysteres-de-la-grande-chasse-de-saint-maurice?urn=urn:rts:video:12512006

Canal 9:

Radio Chablais:

Cath.ch:

24 Heures:

https://www.24heures.ch/la-grande-chasse-a-repris-place-au-cur-de-labbaye-691277676758?utm_source=sfmc&utm_medium=email&utm_campaign=24_ED_9_ENG_EM_NL_SOIR_NOUVELLES_SUBSCRIBER_AO&utm_term=2021-09-21&utm_content=1613583_