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Mois : mars 2022

On ne dépose pas d’ornements sans casser des clous…

On ne dépose pas d’ornements sans casser des clous…

Face aux 2000 clous et aux 400 ornements de la Grande châsse de saint Maurice, le démontage de la châsse de Nantelme devait être à la portée de l’atelier de restauration. C’est évidemment un peu plus compliqué que cela car, contrairement à la Grande châsse, les clous ne sont pas en alliage d’argent, métal dont l’expérience a montré qu’ils étaient relativement faciles à extraire.

Sur la châsse de Nantelme, on dénombre environ 350 clous de plusieurs types et correspondant vraisemblablement à trois interventions sur le reliquaire. Les trois-quarts des clous, en cuivre argenté, correspondent à ceux d’origine et datent de la fabrication de la châsse. On trouve ensuite environ 80 clous en fer doté d’une grosse tête hémisphériques et provenant d’une modification du reliquaire ayant occasionné l’ajout de plaquettes émaillées sur les deux pignons. Puisque ces clous se retrouvent aussi préférentiellement sur la base des longs côtés du toit, il est tentant d’y voir un lien avec une modification du système d’ouverture et l’ajout d’un premier système de charnière. On peut encore rajouter une dizaine de petits clous en laiton et des plus gros en fer forgé disposés respectivement autour de la serrure et sur les charnières actuelles ce qui pourrait témoigner d’une ou de deux modifications plus récentes.

Démontage des ornements de la châsse de l’abbé Nantelme avec une vue sur le pignon du christ avec ses plaquettes émaillées fixées par les clous en fer.

Pour revenir au démontage, il faut savoir que les clous en fer ont une fâcheuse tendance à corroder dans certains types de bois, renforcé en cela par le contact avec les plaques de cuivre. Puisque l’on travaille sur un objet d’une grande importance patrimoniale, il a tout de suite été exclu d’utiliser des produits pouvant faciliter le retrait des clous comme des anticorrosion ou des huiles. Ces produits se diffuseraient inévitablement dans le bois et produiraient à terme des risques pour la conservation du reliquaire en plus de former des tâches irréversibles dans le bois.  Il était donc attendu que le retrait de ces 80 clous en fer allait poser des problèmes et ne serait malheureusement pas sans dommage pour les principaux concernés.

Pour l’extraction des clous, des pinces ont été modifiées pour épouser au mieux les profils des têtes et pour éviter de marquer les surfaces de la châsse. Durant le démontage de l’intégralité des ornements, ceci a bien fonctionné puisque nous n’avons constatés aucun dommage sur les plaques ornementales. Si le retrait des clous en cuivre argenté n’a pas posé de problème particulier, ce fût plus compliqué pour les clous en fer. Pour les extraire, cela a nécessité d’appliquer beaucoup de force. Cette opération a engendré des dégâts sur environ 1/3 des clous, qu’il s’agisse de déformation de la tête et/ou de son arrachement complet. Ceux qui le pourront seront restaurés et pour les autres, ils seront remplacés par des fac-similés pour conserver à minima les informations visuelles des modifications de la châsse de l’abbé Nantelme.

Détail de l’extraction d’un clou en fer avec une pince modifiée spécifiquement pour l’opération

Vue rasante des clous conservés sur une carton-plume imprimé afin de retrouver leur emplacement d’origine. On y voit les différents types de clous ainsi que des punaises rouges aux endroits où les clous ont été endommagés

Vue du pignon de la sainte Vierge en cours de démontage. On distingue notamment les surfaces argentées protégées du ternissement par la superposition des bordures.
Châsse de l’abbé Nantelme, ouvre-toi !

Châsse de l’abbé Nantelme, ouvre-toi !

Cette prière a été scandée en désespoir de cause après de longues heures passées à essayer d’ouvrir la châsse. Rien n’y fait, le reliquaire restait sourd à nos supplications, retour sur une ouverture mouvementée…

Tout commence quand il faut trouver la clé de la serrure de la Châsse de l’abbé Nantelme. L’abbaye de Saint-Maurice d’Agaune est grande, dotée de nombreuses pièces contenant de nombreuses boites qui elles-mêmes contiennent de nombreuses clés.  Heureusement, la mémoire du lieu est grande et grâce aux souvenirs combinés du Procureur et du Conservateur, on se souvient d’un petit coffret en bois, faisant parti du petit Trésor et qui contenait fort heureusement la précieuse clé.

Le dispositif d’ouverture de la châsse de l’abbé Nantelme a été modifié au cours du temps. Le système d’origine n’est pas encore identifié, bien que des traces laissent penser à un toit amovible venant se ficher sur un système de chevilles. Ce qui est sûr, c’est que deux systèmes à charnières se sont succédés avant qu’un système de fermeture à serrure, encore présent, aujourd’hui ne s’y ajoute. Ce dispositif a été probablement bricolé à partir d’une serrure d’armoire et adapté sur la châsse au milieu du XXe siècle si l’on pense à une opération commune avec l’ajout d’une serrure sur la Grande châsse en 1958.

L’ouverture de la châsse ne devrait plus être qu’une formalité, mais c’était sans compter sur une serrure peu coopérante. La clé tourne difficilement et on sent une grande résistance du pêne qui manifestement n’est pas totalement libéré de la gâche.  Pour une meilleure visibilité, la bande ornementale courant à la base du toit est déposée. On y découvre un bois très abimé, probablement en raison d’anciennes ouvertures forcées en se servant d’un levier. Nous ne sommes visiblement pas les seuls à avoir éprouvé des difficultés… Daniel Thurre, historien, avait déjà constaté ces dégâts lors d’une ouverture dans les années 80. Cela nous indiquant qu’ils pourraient être liés au remplacement de la serrure eu milieu du XXe.

Vue des dégâts du bois de la Châsse de l’abbé Nantleme lors d’une ouverture forcée

Une meilleure visibilité, nous permet de comprendre le principe du système de fermeture où deux pênes s’écartent pour venir se ficher de part et d’autre du coffre. Le problème n’est toujours pas réglé, car même en forçant la clé et les pênes, le système reste bloqué. Il faut attendre le renfort d’un 3ème homme, Jean-Emile Gay, menuiser de l’abbaye, pour qu’enfin le système cède, nous permettant d’ouvrir enfin la châsse de l’abbé Nantelme !

À l’intérieur on y découvre une boite en tôle aux dimensions du coffre de l’abbé Nantelme. Elle porte l’inscription de la main du chanoine Léo Müller datée du 16 juin 1958 :

REL. SS. MM. THEB. COMMILITONUM S. MAURITII QUAE ASSERVANTUR IN ARCA DEARGENTATA QUAE DICITUR NANTELMI HUJUS LOCI ABBATIS

Coffre en tôle contenant les reliques de saint Candide et saint Innocent. On distingue en arrière plan le système de charnière actuel à côté des traces du système antérieur.

Si aujourd’hui la châsse de l’abbé Nantelme contient les reliques des saints Candide et Innocent, les recherches indiquent qu’elle abritait, entre le XIIIe et le XVIIe, les reliques de saint Maurice avant qu’elles soit déposées dans la Grande châsse.

La commission scientifique pour lancer les travaux sur la châsse de l’abbé Nantelme

La commission scientifique pour lancer les travaux sur la châsse de l’abbé Nantelme

Le 20 janvier 2022 a marqué le début des travaux sur la châsse de l’abbé Nantelme. Pendant deux jours, l’équipe de l’atelier de restauration a reçu à St-Maurice la nouvelle commission scientifique. Composée d’historien.ne.s de l’art, de scientifiques du patrimoine et de professionnel.le.s de la conservation-restauration cette équipe pluridisciplinaire et internationale apporte une expertise précieuse pour l’étude et la restauration de ce coffre reliquaire.

Vue d’une partie des membres de la commission scientifique en discussion autour de la châsse de l’abbé Nantelme.

Ces deux jours ont été l’occasion pour l’équipe de l’atelier de restauration de présenter l’état des connaissances sur la châsse de Nantelme et d’exposer les futures pistes de recherche. En ce qui concerne sa datation, et contrairement à la Grande châsse de saint Maurice, la châsse de l’abbé Nantelme est mieux située dans l’histoire de l’abbaye grâce à une inscription courant le long de sa crête :

« L’an de grâce 1225. Le 7 des calendes de novembre (le 26 octobre), le corps du bienheureux Maurice fut relevé et déposé dans ce reliquaire au temps de Nantelme, abbé de ce lieu »

Détail de l’inscription sur la crête de la châsse les mots « AGNO : GRACIE : MILLESIMO » sur la première ligne et ensuite « PVS : BEATI : MAVRICII : ET : IN : HOC » sur la seconde

En plus des recherches historiques, iconographiques et artistiques, il est prévu d’étudier les matériaux et les techniques de fabrication de ce coffre reliquaire. La grande qualité des décors ciselés et gravés ainsi que les techniques d’argenture et de dorures du cuivre ont été peu étudiés pour cette période du Moyen Âge. À n’en pas douter, la châsse de l’abbé Nantelme, pourrait bien nous réserver de belles surprises et s’avérer un reliquaire unique en son genre. La commission scientifique ayant accepté que l’atelier de restauration dépose l’entier des plaques ornementale de ce reliquaire, cela nous permet d’espérer de belles découvertes.