Expérimenter des méthodes de traitement – Un gel d’algues, du rose et du peeling
Lors d’un précédent article, nous avions abordé les essais de nettoyage effectués sur coupons. L’objectif était alors de déterminer quel type de complexant – une molécule composée d’une « pince » qui va séquestrer un cation métallique – était le plus indiqué pour nettoyer les oxydations du cuivre sur des coupons ternis artificiellement (https://opusagaunum.ch/experimenter-des-methodes-de-traitement-des-poules-du-gel-et-des-coupons-ternis/). Pour l’appliquer sur l’objet, plusieurs méthodes de nettoyage sont possibles, comme l’immersion complète dans la solution. Si l’on souhaite restreindre le nettoyage à une seule zone on pourra utiliser des compresses avec de la pulpe de papier, un papier buvard ou alors gélifier la solution pour qu’elle devienne « solide ». Dans notre cas nous souhaitons restreindre le nettoyage à la face visible des plaques tout en laissant intact leurs revers. Cela justifie d’abandonner la solution de l’immersion qui aurait pour conséquence de nettoyer toute la pièce. Compte-tenu de la surface gravée des plaques de la châsse, il faut aussi que le médium contenant le complexant puisse pénétrer dans de tout petits interstices. C’est pourquoi, nous avons décidé de nous tourner vers une préparation en gel.
Les gels sont couramment utilisés en conservation-restauration de papier ou de Beaux-arts. L’objectifs étant de limiter l’apport d’eau, d’autres solvants et/ou de produits chimiques sur la surface, laisser agir le produit aussi longtemps que nécessaire et limiter le rincage. Il existe tout une gamme de produits gélifiants naturels ou synthétiques et chacun possède ses forces et ses faiblesses. Il convient de bien les connaître pour faire un choix éclairé. Dans le cas du métal, nettement moins sensible à l’eau et aux solvant que le papier, il y a naturellement moins de cas d’études publiées. C’est pourquoi, toute une série d’essais et de collaborations ont donc été mise en place pour augmenter l’expertise de l’atelier, à commencer par la réalisation d’un travail de fin d’étude Master en 2019 déjà. Sabine de Weck, aujourd’hui collaboratrice à l’atelier, avait comparé différents types de gel et complexant sur des coupons vieillis artificiellement. De plus, l’atelier collabore étroitement à un projet collaboratif appelé « Gels Métaux » autour de l’emploi des gels comme support pour le nettoyage de corrosion métallique. Parmi les partenaires de ce projet on trouve le laboratoire Arc’Antique, le Centre de recherche et de restauration des musées de France au Louvre, la HE-Arc CR et des collègues indépendants. Dans ce projet, il s’agit de faire avancer nos connaissances et nos pratiques en partageant des expériences variées comme des travaux d’étudiants, des ateliers pratiques, des projets de recherches et des cas d’étude comme celui de la châsse de l’abbé Nantelme.
À la suite de ces partages de connaissances et des travaux menés à l’atelier nous avons décidé d’employer un gel à base d’Agar-Agar (extrait à partir de certaines espèces d’algues rouges) et de l’appliquer à chaud. Cette méthode permet donc de faire couler le gel en phase liquide pour qu’il épouse les reliefs des gravures. Lorsqu’il refroidit, il se rigidifie et peut alors être retirer par « peeling » dès le moment ou le nettoyage est jugé suffisant. Pour préparer un gel d’Agar-agar sur mesure, on pourra agir sur certains paramètres comme la température et le nombre de cuisson, le mode de cuisson (bain-marie ou micro-onde), la température d’application, la concentration en gel, etc. En jouant sur ces paramètres on va surtout chercher à obtenir un gel qui est assez liquide lors de l’application pour épouser les gravures des plaques, mais qui sera assez cohésif après refroidissement pour permettre un retrait du gel sans dépôt, ni déchirure. La présence de bulles et la transparence du gel sont aussi des facteurs qui sont observés. Pour tester tous ces paramètres, il n’est pas question de multiplier les essais sur l’objet directement. Nous avons alors conçu et fabriqué une plaque en Plexiglas® sur laquelle nous avons gravé toute une série de motifs, plus ou moins fins et profonds :
Comme première campagne de test, nous avons comparé différentes préparations de gels et leur capacité à épouser les gravures avant d’être pelées sans arrachement. Pour mieux distinguer d’éventuels dépôts, nous avons utilisé un colorant avec un marqueur fluorescent, de la rhodamine-B. En plus de toutes les variations de préparations, deux types de gels d’agar -agar ont été testés : l’Agar’art® et le Nevek® de chez CTS. Le premier est sous forme de poudre et doit passer par toutes les étapes de préparation (deux cuissons recommandées pour garantir une gélification totale), et le Nevek est déjà sous forme de gel. Bien qu’il soit « prêt-à-l’emploi » pour certains usages, nous avons quand même besoin de le chauffer pour l’appliquer sous forme liquide. Une douzaine de gel ont donc été préparés, coulés à chaud sur la plaque gravée, puis pelés après rigidification :
Lors de nos essais sur coupons, nous avions retenu deux complexants aux accronymes barbares : l’EDTA tétrasodique et l’EDDS. Ces deux produits ont la particularité d’être alcalins et malheureusement, les gels d’Agar sont connus pour se dégrader dans ces conditions. Comme on ne croit que ce que l’on voit, nous avons réalisé des essais pour mieux comprendre l’impact du pH sur les propriétés du gel. Nous avons donc testé deux pH différents : 10 et 12. Rapidement on s’est rendu compte que plus la température de cuisson était élevée et durable, plus le gel devenait brunâtre. Nous avons donc également testé l’ajout du complexant entre les deux cuissons de l’Agar’art pour limiter la dégradation du gel. Le résultat est sans appel, le gel se dégrade significativement à un pH12, devenant brunâtre et perdant sa capacité de gélification et de rétention de l’eau. À un pH10, le brunissement est bien plus léger et peut être quasiment éliminé lorsque l’on ajoute le complexant entre les deux cuissons et/ou qu’on ne dépasse pas les 80°C un fois le produit ajouté. Les propriétés du gel sont impactées de manière négligeable et les essais sur la plaque sont équivalent aux essais sans complexant.
Tous ces essais nous ont permis d’avoir une compréhension et une maitrise fine des paramètres qui influe sur les propriétés des gels d’Agar. Appliqué sur une plaque de métal gravé, le gel va se comporter un peu différemment que sur des surfaces en Plexiglas®. Des derniers ajustements ont donc été réalisé directement sur une plaque, mais sans ajouter le complexant pour l’instant. Ce dernier test a permis de définir la quantité de gel nécessaire pour couvrir une plaque entière et tester le montage pour éviter que le gel ne se glisse au-dessous de la plaque et génère des taches au revers.
Pour conclure, nous n’avons pas retenu le Nevek® car sa préparation est moins reproductible. En effet, il contient une part d’alcool pour éviter un développement de moisissure durant le conditionnement. Durant la cuisson, son évaporation n’est pas contrôlée, avec comme conséquence une viscosité fluctuante malgré des préparations similaires. Pour les plus curieux, nous avons finalement choisi d’utiliser un gel d’Agar-art concentré à 4%, avec double-cuisson au bain-marie pour éviter les bulles et maîtriser la température ce qui n’est pas possible avec une cuisson au micro-onde. Le complexant, ici l’EDDS, est ajouté entre les deux cuissons, avec une deuxième montée en température plafonnée à 80°C. Quant au gel, il est coulé sur la surface de l’objet à une température de 70°C.
Pour voir les résultats du nettoyage, il faudra attendre la prochaine news 😉