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Mois : décembre 2020

Pose du premier clou

Pose du premier clou

Après la dépose des ornements, leur documentation, leur analyse, leur nettoyage, voici venir le temps du remontage. C’est plus de 300 ornements qui seront replacés par plus de 2000 clous d’argent. Chacun d’eux retrouvant sa niche pour ne pas altérer l’état originelle de la Grande châsse de saint Maurice.

L’équipe d’Opus Agaunum entouré de l’ensemble des ornements de la Grande châsse de saint Maurice quelques instants avant la pose du premier clou.

Pour marquer l’entrée dans la dernière étape des travaux de restauration, une cérémonie du premier clou s’est déroulée le 29 octobre 2020. Sous l’œil attentif de Monseigneur Scarcella, les conservateurs-restaurateurs ont replacé le premier relief d’argent de la Grande châsse. C’est saint Jean et saint André qui, les premiers, ont rejoint leur trône sur l’âme en mélèze.

Instant fatidique de la pose du premier clou pour refixer le relief de saint Jean et saint André

Chaque clou, dont la tête est polie par une brosse en acier doux, est replanté délicatement. Pour ne pas marquer la surface, les coups de marteau sont frappés par l’entremise d’un bâtonnet de bois. La longueur et la forme des bâtonnets sont adaptés pour garantir l’accès aux têtes de clous, quel que soit la pièce en cours de remontage.

Découvrez la pose du premier clou en regardant la vidéo enregistrée le 29 octobre 2020:

Sur les traces des artisans de l’âme en bois

Sur les traces des artisans de l’âme en bois

Pierre Boesiger conservateur-restaurateur bois au Musée d’Art et d’Histoire de Genève et Claude Veuillet, conservateur-restaurateur indépendant font équipe pour étudier l’âme de la Grande châsse. Pour fabriquer ce coffre, l’artisan a utilisé des planches provenant de deux mélèzes distincts. En témoigne une différence nette dans l’espacement des cernes des deux arbres. En plus de cela, il s’est servi d’un long morceau de chêne pour la faîtière du toit ainsi que du noyer pour reboucher des trous typiques de nœuds noirs.

Pierre Boesiger (à gauche) dépoussiérant la surface et Claude Veuillet (à droite) observant en lumière rasante afin de révéler les traces d’outils sur le bois.

D’anciens systèmes d’assemblage comme des tourillons et des chevilles ont été identifiés. Cela pourrait indiquer qu’une partie des planches de la Grandes châsses provenait initialement d’un autre dispositif. Celui-ci n’a pu être identifié pour l’instant mais il s’agissait probablement de simples panneaux de bois, puisqu’aucune autre marques (par ex. trous de clous, vernis, etc.) n’ont été observées.

Sélection de quelques indices observés sur l’âme (Prises de vue réalisées par Glassey et Martinez)

Des analyses au carbone 14 et une étude dendrochronologique ont été effectuées par le Laboratoire Romand de Dendrochronologie (LRD). Malgré des fourchettes de datation relativement restreintes, les spécialistes n’ont pas pu synchroniser les courbes dendrochronologiques des deux arbres entre elles, ni avec les référentiels datés de la base de données pour le mélèze de l’ensemble de l’arc alpin. Ceci est certainement dû aux attaques d’une chenille, la tordeuse du mélèze (Zeiraphera diniana), ayant pour conséquence des cernes extrêmement petits, voire manquants.

La synthèse de l’étude dendrochronologique et l’analyse au carbone 14 situe l’abattage de ces arbres entre les années 1179 et 1254. Issus de remploi ou employé ad hoc, il est donc tout à fait plausible de considérer que la Grande châsse a pu être constitué dans la première moitié du XIIIe siècle.

Saint Maurice et les quarante plaquettes

Saint Maurice et les quarante plaquettes

On dénombre plus de 40 plaquettes rectangulaires en argent doré ou partiellement doré utilisés sous des ornements filigranés. Ces derniers étant ajourés, il était nécessaire d’interposer une plaquette métallique pour éviter que le bois de l’âme soit visible.

Exemple de l’utilisation d’une plaquette dorées sous un ornement filigrané

Suite au démontage et au nettoyage, ces plaquettes ont révélé des traces d’anciens décors repoussés. Par la nature du décor observé, il semble que ces plaquettes proviennent d’un remploi de reliefs similaires à ceux observés sur des plaques de la Grande châsse. Ci-dessous on voit des photographies recto/verso d’une sélection de plaquettes dorées ainsi que le relevé manuscrit des décors présents. Les 4 premières plaquettes présentes des traces de décors végétaux et les trois dernières des traces de lettres. Ces décors sont identiques aux rinceaux des médaillons de la genèse présent sur les rampants du toit de la châsse.

Sélection de plaquettes dorées présentant des traces de décors (Recto / Verso / Relevé des traces)

Nous avons pour l’instant identifié dix-huit plaquettes provenant de reliefs de la genèse, douze de colonnes des reliefs des apôtres et cinq de la mandorle du Christ. Voici des propositions de l’origine d’une sélection de plaquettes dorées :

Illustration de l’emplacement d’origine de certaines plaquettes dorées

Il s’agit donc d’une preuve matérielle que la majeure partie de la Grande châsse provient du remploi d’un objet du XIIe siècle. Nous savons, grâce à deux documents datés de 1150, conservés aux archives abbatiales, que le comte de Savoie Amédée III emprunte, en 1147, un antependium (ou devant d’autel) pour financer sa participation à la deuxième croisade À sa mort un an plus tard, son successeur Humbert III ne peut rendre la table empruntée et remet à l’abbaye, en compensation, cent marcs d’argent et deux marcs d’or, pour refaire ce devant d’autel. L’historien de l’art Daniel Thurre a proposé plusieurs reconstitutions possibles de cet ornement d’autel. La composition la plus vraisemblable devait présenter un Christ en majesté accompagné de deux anges, encadré du tétramorphe et du collège apostolique au complet. Il pense en retrouver ainsi des fragments en remploi dans la Grande châsse.

Réduire le ternissement de l’argent avec un outil sur mesure

Réduire le ternissement de l’argent avec un outil sur mesure

La restauration des reliefs en argent et en argent doré continue. La méthode électrochimique, très peu invasive, donne entièrement satisfaction. Elle permet de réduire le ternissement puis, dans un second temps, les résidus d’argent qui demeurent en surface des dorures. En effet, après la première étape du traitement, il subsiste sur les dorures un fin dépôt d’argent qui attenu le rendu doré.

Schéma explicatif et photographies du reliefs de l’aigle pendant les différentes étapes du traitement de nettoyage du ternissement avec le pinceau électrolytique.

Cette technique, a été préférée aux méthodes mécaniques et chimiques traditionnelles. Les méthodes mécaniques consistent au retrait de la couche de ternissement par une poudre abrasive. Bien qu’assez fine, cette méthode modifie sensiblement l’aspect de surface par un polissage. De plus, il subsiste dans les creux des décors et les porosités de des grains abrasifs qu’il est très compliqué de retirer complètement. Durant la restauration de la Grande châsse nous avons repéré au moins deux campagnes de nettoyage mécanique avec la présence pâte à polir rouge et de poudre blanche (par ex. craie de champagne). On en distingue d’ailleurs sur la photographie du relief de l’aigle (ci-dessus à gauche) dans le bec, dans l’œil et sur le perlé au bas de la plaque. Les méthodes chimiques, comme les complexant ou certains acides faibles, fonctionnent bien sur les produits de corrosion du cuivre. En revanche, la gamme de produit efficace pour le ternissement de l’argent sont peu nombreux et occasionne de effets secondaires indésirables. La thiourée, bien qu’efficace, laisse un dépôt de surface qui va favoriser le reternissement de l’argent. Cette nouvelle oxydation est différente de celle formée naturellement et il est alors très compliqué de réintervenir autrement que mécaniquement.

Vue du dispositif technique nécessaire pour la réduction électrochimique du ternissement. Copyright Bernard Hallet (cath.ch)
Reliquaire en chantier

Reliquaire en chantier

Au mois de mai 2019, c’est ouvert à l’abbaye de Saint-Maurice, l’exposition « Reliquaire en chantier – La raison des gestes » :

Les quatre déclinaisons de l’affiche de l’exposition « Reliquaire en chantier » conçue par la graphiste Adeline Mollard.

Cette exposition présente les travaux de restauration en cours de la Grande châsse de saint Maurice. Elle se concentre sur l’étude de la châsse, son état de conservation et les différentes phases de transformation qu’elle a subies. Face à un objet d’art, l’historien conduit un travail d’identification qui permet de le replacer dans son temps et son lieu de création, c’est-à-dire de le dater et de le localiser.

Vue du bandeau lumineux installé dans le trésor pour présenter les indices matériels de la Grande châsse de saint Maurice.

Dans le cas de la Grande châsse, cette approche essentielle est singulièrement compromise car l’objet, stylistiquement hétérogène, n’offre pas de programme iconographique précis et présente un aspect composite qui révèle clairement des strates chronologiques distinctes. L’état « bricolé » du reliquaire et les diverses traces de réutilisation et de réparation que l’on peut observer ici et là, ont amené la plupart des auteurs à considérer qu’il avait été, sinon fabriqué du moins fortement transformé au XVIIe siècle, en réutilisant des fragments originaux de reliquaires médiévaux. Bien qu’il ait été prouvé par l’étude en cours que cela n’est pas le cas, il reste néanmoins difficile d’approximer la date et le lieu de fabrication de cet objet composite en utilisant les instruments habituels de l’histoire de l’art, à savoir les comparaisons iconographiques et l’analyse stylistique, puisque les réponses proposées jusqu’ici restent peu satisfaisantes. Cependant, nous avons opéré depuis quelques décennies un retour à l’artefact dans le sens d’un material turn (ou tournant matériel). A cet égard, les médiévistes s’efforcent plus particulièrement d’équilibrer les qualités haptiques (ou tactiles) et optiques de l’objet. Il s’agit là d’une amélioration épistémologique indéniable qui a permis non seulement des (re)découvertes et des réattributions précieuses, mais aussi de restituer avec profit la matérialité et l’agentivité dans le discours historien. Ce « tournant » exige une meilleure intégration des contributions spécifiques des chercheurs des sciences de la conservation et celles des sciences historiques. Dans le cas présent, nous avons précisément établi ce protocole dès l’entame des travaux, qui devraient constituer à terme l’analyse matérielle la plus complète de l’objet. Cette exposition est l’occasion de présenter au public les résultats intermédiaires de l’étude.

Reconstitution de l’agencement supposé du devant d’autel Roman duquel pourraient provenir les reliefs des apôtres et du Christ
Vue “éclatée” des ornements du pignon de la Sainte Vierge pour illustrer l’économie et le remploi patrimonial
Des gemmes antiques pour illuminer un reliquaire médiéval

Des gemmes antiques pour illuminer un reliquaire médiéval

Des pierres précieuses polies, taillées ou gravées, ornent la Grande châsse de saint Maurice ainsi que d’autres pièces du trésor abbatial. Ces gemmes, datant pour la plupart de l’Antiquité, sont couramment utilisées pour décorer et magnifier les objets médiévaux, notamment les reliquaires. Le remploi de gemmes antiques gravées sur des objets chrétiens peut surprendre, en raison de leur iconographie païenne. Toutefois, il faut apprécier ces merveilles avec un œil médiéval, où l’éclat et la préciosité participent de la signification de ces œuvres d’orfèvrerie religieuse. La Grande châsse de saint Maurice, en plus de sa très riche ornementation d’argent, d’argent doré et de plaquettes niellées, est rehaussé par près de 200 gemmes, verres et pâtes de verre sertis. Ces derniers bénéficiaient d’une préciosité symbolique, car ils étaient difficiles à produire avec les techniques à disposition.

Les gemmes présentes sur les objets liturgiques des trésors d’église proviennent de dons de fidèles, de pèlerins, de visiteurs illustres ou de souverains européens. Ces pierreries sont ensuite montées sur une sertissure ou au sein d’un décor cloisonné. Sous les gemmes, on dispose également une petite pièce polie ou gaufrée en argent ou en or – appelé paillon ou clinquant – qui sert à réfléchir la lumière pour rehausser la couleur et la luminosité des pierres. L’étude de leurs propriétés optiques (par exemple : couleur, transparence, lustre, etc.), permet de les identifier tandis que l’observation de leurs caractéristiques internes (par exemple : inclusions, fractures, etc.) et d’autres propriétés physiques et chimiques peut permettre d’identifier leur provenance.

La Grande châsse de saint Maurice compte 102 verres et pâtes de verre, 20 améthystes, 18 saphirs, 15 calcédoines (sardonyx, cornaline et onyx), 10 quartz, 9 émeraudes, 8 grenats, 5 perles nacrées, etc.

Analyse des alliages d’argent

Analyse des alliages d’argent

Si l’époque d’origine des grands reliefs (Apôtres, Christ, Sainte Vierge, etc.) est connue par l’étude stylistique, il n’est pas possible d’identifier les nombreuses plaques d’ornements peu ou pas décorées. Pour tenter de recomposer au mieux le dispositif d’origine et mieux comprendre la provenance de ces plaques, il est nécessaire de faire parler la matière. La spectrométrie de fluorescence des rayons X portable permet une étude in situ et comparative des éléments d’alliage des plaques d’argent. Cette technique non-destructive ne nécessite aucun prélèvement. Elle permet une analyse élémentaire semi-quantitative (approximation de la teneur de chaque élément de l’alliage). Notre stratégie a été de l’utiliser sur l’intégralité des ornements pour réaliser une étude comparative et ainsi classer les alliages en fonction de leur pourcentage de cuivre, d’or et de plomb – éléments typiques des alliages d’argent médiévaux.

Analyse par fluorescence des rayons X portable sur le Buste reliquaire de saint Candide avant sa restauration (Photo prise en 2012 dans l’ancienne salle du Trésor)

Dans notre étude, c’est le pourcentage de cuivre qui a donné les résultats les plus représentatifs. Pour les reliefs dits romans de la Grande châsse (datée stylistiquement au XIIe siècle), la teneur en cuivre varie entre 0,8 et 1,6%. Le relief du Christ est mesuré autour de 1,1 % et les plaques des rampants du toit présentent des taux variants entre 1,4 et 1,6%. Même si les différences sont faibles au regard de la technique utilisée, on remarque une grande régularité lorsque l’on multiplie les mesures sur un même relief. Ces résultats sont intéressants, puisque cela tend à démontrer la maitrise métallurgique des ateliers de l’époque. En effet, un relief avec plus de volume sera plus facile à travailler au repoussé et au martelage s’il contient moins de cuivre.