Expérimenter des méthodes de traitement – Des poules, du gel et des coupons ternis
Lorsque l’on expérimente des méthodes de restauration, il faut évidemment éviter que ce soit à l’objet d’en faire les frais. Certaines expériences peuvent laisser des traces, endommager la surface ou faciliter des dégradations futures. Dans le cas des plaques en cuivre argenté de la châsse de l’abbé Nantelme (voir news), beaucoup de questions subsistent quant à la nature de son oxydation. Doit-on s’attendre à un ternissement composé de corrosion de l’argent, comme son revêtement le laisse supposer ou alors de corrosion du cuivre provenant du cœur de la plaque ? Peut-être un mélange des deux, mais s’agit-il alors d’oxydes, de chlorures ou de sulfures ? Qu’en est-il du mercure résiduel utilisé pour argenter la surface ? Joue-t-il un rôle dans le ternissement et peut-il entraîner des effets secondaires lors du nettoyage ? Toutes ces questions sont importantes pour choisir une méthode adaptée au nettoyage du ternissement. La première piste serait d’analyser la nature de cette oxydation et de choisir le traitement en fonction du résultat. Sur le papier cela paraît simple, mais l’analyse d’une couche aussi fine que le ternissement est bien plus complexe qu’il n’y parait et les résultats ne sont souvent que partiels et sujet à interprétation. L’autre option, celle que nous avons retenue, est de fabriquer des coupons métalliques, de les vieillir artificiellement et d’y tester directement les méthodes de traitement que l’on souhaite comparer.
Soyons clair, il est vain de vouloir imiter un ternissement naturel de plusieurs siècles ou de recréer une argenture au mercure pour des raisons tant techniques que de toxicité. Ici, nous avons choisi quatre types de coupons pour tenter de recréer séparément les spécificités du ternissement de la châsse. Pour cela, nous avons choisi du cuivre pur, de l’argent pur, un alliage argent cuivre (Ag925) et un cuivre argenté. La surface de ces coupons a été nettoyée et préparée soigneusement pour éviter toute forme de pollution et garantir une certaine reproductibilité.
Il est communément admis que le soufre est responsable du ternissement de l’argent. Bien que le soufre soit présent dans l’atmosphère naturellement, il faudrait plusieurs mois, voire plusieurs années pour que les coupons se ternissent naturellement. Pour oxyder plus rapidement des coupons nous devons donc reproduire artificiellement des conditions très défavorables et ainsi accélérer ce processus. Pour cela, il faut augmenter la concentration en soufre dans un environnement chargé d’humidité et légèrement tempéré. C’est là que les poules de l’abbaye entrent en jeu. Plus précisément, leurs œufs, puisqu’une fois cuit, ils vont dégager des vapeurs soufrées désagréables mais tout à fait indiquées pour ternir des coupons métalliques en quelques heures seulement :
Une fois les coupons ternis, nous avons présélectionné deux techniques de restauration complémentaires. La première étape consiste à l’application à chaud d’un gel d’agar-agar contenant un agent actif que l’on appelle un chélatant. Ce produit a pour propriété de capturer tout ou parties des cations métalliques (ici le cuivre) présent dans le ternissement. Il existe plusieurs de ces produits, et appliqué avec certains pH, ils vont avoir une action plus ou moins efficace sur le ternissement. Différents produits, à différent pH ont donc été testés sur nos coupons. Comme le ternissement de l’argent n’est pas sensible à cette technique, une deuxième étape est nécessaire. Pour cela on utilise un pinceau électrolytique, le Pleco® qui va permettre de réduire les chlorures et sulfures d’argent restant. C’est d’ailleurs avec cet outil que nous avions réduit le ternissement de la Grande châsse de saint Maurice (voir news).
Après une première appréciation visuelle du résultat, des mesures analytiques ont été réalisées pour mesurer l’efficacité des différents produits sur chaque coupon. Pour cela, on compare certaines propriétés du ternissement avant et après le nettoyage. Cela nous permet donc d’évaluer l’efficacité des traitements et d’en favoriser certains au détriment d’autres. Ces analyses électrolytiques, appelée voltammétries linéaires, sont réalisées directement par l’équipe de l’atelier de restauration.
Cette première campagne expérimentale a deux vertus. Elle permet de réduire le nombre de produits et de variables lorsque l’on passera aux essais réels sur la châsse tout en affinant notre mode opératoire. D’autres tests complémentaires sont encore prévus pour répondre à de nouvelles interrogations avant de pouvoir passer ensuite sur la châsse en toute connaissance de cause.