Un métal peut en cacher un autre…
La châsse de l’abbé Nantelme est constituée de plaques métalliques clouées sur une âme en bois. Le principe est donc le même que la Grande châsse de saint Maurice à ceci près que le métal et les techniques de décor sont très différentes. Si pour la Grande châsse il s’agit essentiellement de plaques en argent repoussées, la châsse de l’abbé Nantelme, est ornée de plaques dont le décor est obtenu par ciselure et gravure.
Au premier abord, la surface d’aspect gris foncé fait penser à de l’argent terni dont certaines zones sont dorées. Cependant, une observation minutieuse permet de voir, ici et là, de petites zones orange-brunes typiques de la couleur du cuivre. Alors argent ou cuivre ? Eh bien, tout simplement les deux. En fait, ces plaques sont constituées de cuivre avec une couche d’argent en surface, donnant à l’observateur l’illusion d’une châsse en argent.
Il existe toutes sortes de techniques pour argenter le cuivre. Si plusieurs méthodes industrielles sont brevetées au XVIIIe et au XIXe, comme le « French Plating », « Close Plating », placage Sheffield ou placage électrolytique, des techniques similaires étaient parfois déjà appliqués de manière artisanale. Il n’est donc pas recommandé d’exclure ces méthodes modernes d’argenture lors des observations et des analyses. Quant à nos connaissances des techniques anciennes, elles sont parvenues jusqu’à nous grâce à certains traités, dont l’un des plus connus est celui du « Moine Theophilus » regroupant des textes du 11 et 12ème siècle. Mais ce sont surtout les objets eux-mêmes qui sont les témoins matériels et objectifs des technologies d’argenture des ateliers antiques et médiévaux.
En étudiant la littérature et les études d’objets patrimoniaux argentées de cette période on peut distinguer des indices qui peuvent nous aider dans notre identification. Visuellement on s’intéressera par exemple au fait que l’argenture recouvrent tout ou partie de l’objet, ainsi qu’à l’état de ses délimitations (franches et géométriques ou composées de tâches). Grâce au démontage, on peut observer que les plaques de la châsse de Nantelme ne sont argentées que sur la face visible. On peut également voir des débordements au revers sous forme de tâches et de coulures. Bien que très informatif, ces indices ne sont pas suffisants pour garantir une identification, c’est pourquoi il a été décidé de se tourner vers des techniques analytiques. Pour cela, il faut bien savoir ce que l’on cherche. La première étape serait d’identifier un élément chimique qui ne se trouve que dans l’une ou l’autre des techniques d’argenture. C’est par exemple le cas de l’étain qui sert de brasure tendre pour le « close Plating » ou le mercure que l’on trouve en proportion variable en fonction de son emploi dans une argenture dite « chimique ou à frotter » ou pour une argenture au feu. En l’absence de trace de mercure et d’étain, on orientera alors notre diagnostic vers des techniques proches du « french Plating » ou du placage Sheffield qui permettent de souder directement des feuilles d’argent sur une surface de cuivre en chauffant l’ensemble à des température proches de 800°C. À ces températures le cuivre diffusera dans l’argent pour abaisser son point de fusion et permettre une soudure à l’interface entre le support et le placage. Qu’en est-il alors de la châsse de Nantelme.
En 2022, nous avons lancé une campagne d’analyse en partenariat avec l’Unité de recherche de la Haute Ecole Arc de Neuchâtel. Christian Degrigny, également membre de la commission scientifique de notre projet, est venu étudier ces plaques avec une analyseur portable à fluorescences de Rayons-X (p-FRX). Cette technique permet d’identifier les éléments présents dans l’alliage de manière semi-quantitative. Cela implique qu’on pourra approximer la proportion des éléments présents, sans pouvoir déterminer les pourcentages avec certitude. De plus, les Rayons-X émis par l’instrument pénètrent sensiblement dans la matière. Dans le cas d’une argenture, l’analyse donnera un résultat sans distinction entre les éléments présents dans la couche de surface et les éléments en dessous. Il est donc fondamental lors d’une analyse de connaître, tant les limites de l’analyseur que les différentes technologies métallurgiques, pour pouvoir interpréter les résultats en tout discernement.
Pratiquement, nous avons réalisées une série d’analyse tant sur les faces argentées que sur les revers sans revêtements. On interprétera plus facilement les résultats d’analyse de l’argenture puisque l’on pourra exclure des mesures les éléments présents dans le support. Il ressort des analyses p-FRX une forte présence de mercure dans l’argenture. Bien que des sels de mercure soient parfois utilisés pour des argentures chimiques dites « chimique ou à frotter », la quantité mesurée est significative et semble indiquer une argenture par amalgamation au mercure. Cette technique très répandue pour la dorure est bien moins courante pour l’argenture. L’argent, sous forme de feuille est mélangé à du mercure – liquide à température ambiante – pour former un amalgame entre les deux métaux. Cette pâte est ensuite appliquée au pinceau sur la surface à argentée avant d’être passé au feu. Le mercure ayant une température d’évaporation très basse, il va s’évaporer rapidement en laissant l’argent en surface.
Cette technique d’argenture n’a que très rarement été identifié sur des objets médiévaux. En fait elle n’a jamais été identifié sur un objet de cette dimension ! Compte-tenu de l’intérêt de cette découverte, d’autres analyses sont envisagées pour consolider cette hypothèse. Il reste également à étudier le ternissement pour vérifier l’impact du mercure dans la formation de cette couche. Si le mercure participe au ternissement, une recherche doit être entreprise pour développer ou affiner des méthodes de restauration pour réduire ce ternissement en toute maîtrise. Le travail ne fait que commencer…