Trois petits sous trouvés derrière une « plinthe ».
Lors de travaux de rénovation d’un appartement, il est courant de tomber sur une pièce de 5 centimes glissée derrière une plinthe. Même si l’événement n’a rien d’extraordinaire, on ne peut s’empêcher de pousser un petit « oh » de surprise, tout en imaginant un facétieux menuisier de la fin du XXe siècle y placer le fond de ses poches. Inutile de dire que lorsque nous avons découvert la présence de trois pièces médiévales, déposées sur la châsse à l’intention de l’histoire, l’émotion fût vive. Ces monnaies retrouvées sous le long bandeau inférieur de l’une des grandes faces pourraient bien être plus que le témoin de la « farce » d’un artisan. Avec l’aide précieuse de Gilles Perret, responsable du Cabinet numismatique du Musée d’Art et d’Histoire de Genève, nous avons pu identifier ces trois monnaies pour nourrir nos recherches.
- Une bractéate est une pièce de monnaie très mince, frappée d’un seul côté. Cette technique, née en Allemagne centrale au XIIe siècle, est aussi répandue en Suisse alémanique pour la frappe des deniers jusqu’au XIVe siècle (Source : Olivier Frédéric Dubuis: “Bractéate”, in: Dictionnaire historique de la Suisse (DHS)). Le quadrupède sur la bractéate est un ours représentant la ville de Berne, un modèle vraisemblablement frappé en 1225.
- Le monnayage du denier anonyme Beata Virgo de l’évêché de Lausanne est daté de la première moitié du XIIIe par Brigitte Rochat (Cahiers Romands de Numismatique, n°3 de 1994). L’exemplaire trouvée sur la châsse est de la 3ème série sur 7, mais nous n’avons pas de chronologie relative aux différentes séries. C’est toutefois la plus abondante, et se situe assez au début de la période de production, se rapprochant donc du premier quart du XIIIe siècle. Ce denier apparait très usé ce qui pourrait témoigner d’une longue circulation avant d’arriver sur la châsse de Nantelme. Toutefois, cette usure semble plutôt provenir de la dégradation du coin de frappe lors de la fabrication que d’une abrasion liée à l’usage.
- Quant au denier d’Amédée III de Savoie, c’est la plus ancienne des trois monnaies trouvées sur la châsse puisque son monnayage s’étend tout au long de la première moitié du XIIe siècle. Ce n’est pas la première fois que cette monnaie est retrouvée dans un reliquaire du trésor, puisqu’un même denier (a) occupait l’intérieur de la cavité des reliques du Chef reliquaire de saint Candide (vers 1160) en compagnie d’une obole genevoise du début du XIIIe siècle (b) et rajoutée plus tard, peut-être même par l’Abbé Nantelme, commanditaire de la châsse éponyme :
Bien malin qui saura expliquer la présence de ces monnaies frappées à des périodes et des lieux différents. S’agit-il d’un acte de fondation ? Faut-il y voir un indice de l’identité des personnes ayant commandité, financé ou réalisé la châsse de Nantelme ? On constate que ces trois pièces sont toutes situées sur la face où est représentée l’histoire de Maurice avec son martyre et son triomphe. C’est aussi la face qui comprend l’inscription commémorative. Cela pourrait indiquer qu’elle était la « belle » face tournée vers l’audience. La bractéate bernoise était disposée seule sous la représentation de l’Empereur Maximianus, commanditaire du martyre des thébains, tandis que les deniers d’Amédée III et de l’Évêché de Lausanne étaient groupées sous la décollation de Maurice. Faut-il y voir plus que du hasard ? Il est aussi tentant que risqué de vouloir y trouver une raison ou prêter une intentionnalité aux auteurs. On peut se rassurer malgré tout en constatant que les dates de monnayage correspondent bien avec la mise en œuvre supposée de la châsse. Cette trouvaille, qui n’as pas encore révélé tous ses secrets, serait donc liée au moment de la fabrication du reliquaire plutôt que d’un événement ultérieur où les pièces auraient été glissées sous la bordure après fabrication de la châsse.