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Catégorie : Grande châsse de saint Maurice

Lever le voile du ternissement par l’électrochimie

Lever le voile du ternissement par l’électrochimie

L’un des gros travaux pour les restaurateurs concerne le nettoyage du ternissement de l’argent recouvrant les tôles d’argent de la Grande châsse de saint Maurice. Ce voile foncé s’est formé en surface en raison de la manipulation du reliquaire par les religieux et les fidèles (formation de chlorure d’argent (AgCl) provoquée par la sudation des mains) ainsi que par la présence de vapeurs soufrées dans l’atmosphère (formant du sulfure d’argent : Ag2S). Lors du démontage de certaines pierres serties, on voit distinctement le contraste entre les surfaces exposées ou protégées comme on le voit ici sous une améthyste.

Pour redonner son éclat d’origine à la Grande châsse, les conservateurs-restaurateurs appliquent des techniques de pointe. Développé en partenariat avec la Haute Ecole Arc de Neuchâtel, le Pleco – un pinceau électrolytique open-source – permet de réaliser des traitements électrochimiques localisés. Cet outil sert à réduire la couche oxydée en argent métallique. De la sorte, ni abrasion, ni emploi de produits acides ne sont nécessaires, ce qui garantit un traitement durable tout en préservant les traces de fabrication et d’usage lisibles en surface.

Chaque zone nécessite entre 20 et 120 secondes de traitement pour que la réduction soit complète. Si l’on reporte cette application à l’ensemble à l’ensemble des reliefs de la Grande châsse, les restaurateurs s’attendent à une année de traitement. Au travail donc !

Où un clou retors permet de comprendre le processus d’assemblage de la Grande châsse

Où un clou retors permet de comprendre le processus d’assemblage de la Grande châsse

Après une première année de travail, les reliefs en argent de la Grande châsse de saint Maurice sont entièrement déposés. Tous ? Non ! Car une tôle d’argent fixée par un irréductible clou résiste encore et toujours aux restaurateurs. Si, à première vue, ce clou pourrait poser problème dans le processus de restauration, il s’avère être une aubaine pour la compréhension de l’histoire matérielle de la Grande châsse.

Le clou concerné ne peut être retiré car sa tête est recouverte par une pièce de bois marquant le début du toit. Comment ce clou a-t-il pu être planté là sans laisser de marques sur le bois qui le recouvre ? Tout simplement parce que ce clou – tout comme les autres clous et les ornements – ont été positionnés avant que le toit ne vienne condamner la châsse et les reliques qu’elle contient. Cette hypothèse est d’autant plus plausible que le toit n’est solidaire, du reste de la caisse, que par deux longs clous en fer. Ceux-ci traversent les tôles d’argent et le faîte du toit pour venir se ficher au sommet des deux pignons. Tout le reste de l’interface est laissé libre, preuve en est la possibilité de glisser un papier tout le long de l’assemblage.

Ces indices nous renseignent sur l’ordre général des opérations d’assemblage de la Grande châsse. L’âme en bois a été constituée de deux parties indépendantes : la caisse et le toit. Celles-ci ont reçu différents reliefs et gemmes provenant du remploi de plusieurs objets antérieurs. Les reliques sont ensuite déposées dans le coffre, le toit positionné, puis condamnées par les deux longs clous en fer. Quelques éléments sont encore placés à cheval sur l’interface entre la caisse et le toit pour terminer le reliquaire. La Grande châsse de saint Maurice a donc été pensée et fabriquée de sorte à ne pas être visitée ! Il faudra attendre la découpe d’une trappe sous la châsse pour qu’une première visite des reliques soit effective à la fin du XVIe siècle.

Plus de 300 ornements à documenter

Plus de 300 ornements à documenter

Chaque pièce recouvrant la Grande châsse de saint Maurice est numérotée et photographiée individuellement. Comme il peut y avoir autant de logique de numérotation que d’objets ou de restaurateurs, la commission scientifique a proposé de s’inspirer des travaux conduits sur d’autres châsses rhéno-mosanes, telles que la Châsse des rois mages de Cologne ou celle de Charlemagne à Aix-la-Chapelle.

L’attribution d’une cote unique pour chaque relief, chaque pierre et chaque plaquette permet ensuite de décrire et de documenter spécifiquement chaque élément sans risque de confusion. Il en résulte un catalogue exhaustif de pièces regroupant toutes les observations, les descriptions, les analyses, les traitements de restauration, etc. Ce travail est essentiel pour compiler et classer la masse d’informations générées en cours d’étude. Le démontage d’un objet aussi riche et complexe que la Grande châsse est une occasion unique. Tout doit être entrepris pour qu’un nouveau démontage ne soit plus nécessaire à l’avenir. Il conviendra donc d’offrir au chercheur d’aujourd’hui et de demain des données brutes et aussi exhaustives que possible sur la Grande châsse de saint Maurice.

Une commission d’experts locaux et internationaux pour épauler l’équipe d’Opus Agaunum

Une commission d’experts locaux et internationaux pour épauler l’équipe d’Opus Agaunum

À la fin du mois d’octobre, la commission scientifique du projet s’est retrouvée pour la deuxième fois autour de la Grande châsse de saint Maurice. Cette commission, composée de professionnels du patrimoine, se rassemble tous les six mois pour faire état de l’avancement des travaux. Chacun d’eux apporte une expertise spécifique à l’étude et la restauration d’objets d’orfèvrerie médiévale.

L’équipe d’Opus Agaunum a présenté son plan de travail pour la suite du projet. La commission a notamment validé la dépose de la totalité des reliefs en argent pour mettre à nu l’âme en bois. Cela permettra d’étudier la construction du coffre en bois ainsi que les revers des reliefs en argent. Ces derniers nous ayant déjà réservé quelques belles surprises, il n’est pas vain d’espérer trouver de nouveaux indices déterminants pour la compréhension de l’histoire de la Grande châsse de saint Maurice.

De gauche à droite – Sophie Guermann, Natania Girardin, Denise Witschard, Pierre Alain Mariaux, Claude Veuillet, Sophie Balace, Dorothee Kemper, Clemens Bayer, Gaëtan Cassina et Romain Jeanneret.

Les petits papiers de l’apôtre…

Les petits papiers de l’apôtre…

Lors de la dépose des deux plaques frontales, nous avons découvert quatre petites boulettes de papier au revers du relief représentant saint Paul. Ces papiers ont, selon toute vraisemblance, été placés lors de la restauration d’une déchirure constatée au niveau du cou de l’apôtre. En effet, on distingue sur la face du relief une importante brasure à l’étain. Nous ne connaissons pas la raison de ce déchirement, qui a pu se produire lors d’un accident survenu à  la châsse ou lors de la dépose de la plaque de son objet d’origine.

 

 

 

 

 

 

 

La découverte de ces quatre morceaux de papier pourrait aider à retracer l’histoire des restaurations de la Grande châsse de saint Maurice.

Il fallait tout d’abord déployer le papier sans le dégrader. Pour ce faire, ceux-ci ont été placés dans une chambre humide afin de réhydrater les fibres. Dès lors, il a été possible d’aplanir ces fragments et de les étudier. Si nous espérions découvrir une date ou un nom, nous devons nous contenter de fragments du bas d’une page d’un ouvrage indéterminé :

 

 

 

 

Nos recherches auprès des archives, bibliothèques chrétiennes et laïques ne nous ont pas permis de rapporter ces fragments à  un ouvrage particulier. Toutefois, les avis d’expert convergent et semblent indiquer que les caractères d’imprimerie comme le type de papier (papier chiffon) proviennent d’un ouvrage publié vers la fin du XVIIe ou au début du XVIIIe siècle. La réparation du cou de saint Paul ne pouvant être antérieure à  la publication de l’ouvrage, nous pouvons dire que ces travaux ont été menés entre la fin du XVIIe et le XXe siècle.

La face cachée des archanges

La face cachée des archanges

Après avoir déposé le pignon de la Vierge, les restaurateurs se sont attelés à  la dépose des reliefs et ornements de la première grande face. Ces travaux viennent de se terminer et ont permis de mettre au jour la moitié de l’âme en bois ainsi que le revers de deux grands reliefs. Ceux-ci représentent les archanges Séraphin et Chérubin encadrant les apôtres Pierre et Paul.

La mise en forme des personnages est réalisée par la technique du repoussé. L’espace en creux, résultant du façonnage, est ensuite comblé par des masses de renfort. Cette pratique courante permet de consolider les plaques pour limiter les enfoncements en cas de choc ou d’accident. Des analyses réalisées sur les masses de renforts de la châsse de saint Sigismond et ses enfants et sur la Grande châsse de Sion indiquent la présence majoritaire de cire d’abeille et de résine colophane. La coloration rouge-brune témoigne de la présence d’une charge qui, selon les analyses précitées et la littérature, est constituée de brique pillée ou de minium de plomb. Des études similaires sont envisagées pour la Grande châsse de saint Maurice ainsi que des datations au carbone 14 pour affiner nos connaissances sur sa période de fabrication.

 

 

 

 

Et au-dessous, un peu d’or

Et au-dessous, un peu d’or

Des siècles d’oxydation et d’entretien ont consommé, petit à petit, les dorures de la Grande châsse de saint Maurice. De par la superposition de certaines plaques d’argent doré, le démontage a mis au jour de petites surfaces encore intactes. On y retrouve ainsi un aspect plus éclatant, témoin de l’aspect d’origine du reliquaire. Le concepteur de cet objet avait sans doute en tête l’idée de fabriquer un reliquaire brillant, où les effets lumineux de l’argent et de l’or composaient avec l’éclat des nombreuses gemmes en un ensemble coloré. Ainsi, la châsse pouvait-elle évoquer pleinement la Jérusalem céleste.

L’or était appliqué en surface par la technique de dorure au mercure, appelée aussi dorure au feu ou or moulu. Cette technique consiste en l’application d’un mélange pâteux d’or et de mercure formant un amalgame. Cette pâte était brossée sur la surface à dorer puis chauffée, de sorte à ce que le mercure s’évapore en laissant l’or se déposer et se lier avec la surface métallique. Cette technique permettait aussi de réaliser des dorures localisées pour former des décors, comme c’est le cas ci-dessous pour le rinceau floral :

Des clous, encore des clous…

Des clous, encore des clous…

La dépose des nombreuses plaques qui recouvrent la Grande châsse de saint Maurice implique le retrait d’environ 2000 clous en argent. Tous ces clous nécessitent une attention particulière pour éviter de marquer la surface des plaques. Un outillage spécifique a donc été préparé par les conservateurs-restaurateurs, adapté aux différents types de clous et aux différentes surfaces, qu’elles soient décorées, niellées ou dorées.

Chaque clou, patiemment extrait de son emplacement, est ensuite replanté sur un panneau de carton plume imprimé d’une photographie de la châsse à l’échelle. Ce travail rigoureux est essentiel pour assurer un remontage identique, dans le respect de  l’authenticité de la pièce. Chaque clou retrouvera ainsi son logement d’origine pour ne pas altérer l’information historique et technologique. La bonne tenue de l’assemblage est assurée pour deux raisons: d’une part, les trous dans le bois ont tendance à se refermer; de l’autre, les clous pourront être légèrement retravaillés en leur donnant une faible courbure, ce qui facilitera leur accroche lors du remontage. À l’heure actuelle, 350 clous ont été retirés, qui composaient principalement le pignon de la  Vierge.

Une découverte de plus de 300 ans

Une découverte de plus de 300 ans

Il y a un peu moins de 350 ans, le 17 juin 1668, sollicité par l’évêque de Sion Adrien IV de Riedmatten, l’abbé Jean-Jodoc Quartéry procédait en sa présence à l’ouverture de la Grande châsse de saint Maurice. Nous avons conservé deux compte-rendus de cette visite, tous deux rédigés par des témoins de l’événement, le premier  par un chanoine de Sion, Christian Ritteler, le second par l’abbé de Saint-Maurice en personne. A cette époque, on découvre une étiquette de relique, authentifiant les reliques Maurice (ill. 1), ainsi qu’une note rapportant la répartition des reliques du saint entre le duc de Savoie et l’abbaye, advenue à la fin de l’année 1590 (ces deux parchemins sont aujourd’hui conservés aux archives abbatiales, sous les cotes CHN, 64/1/27 et 28 respectivement).

Jean-Jodoc Quartéry compte les ossements présents dans la châsse, qu’il distingue en majeurs et mineurs, indique qu’il a récolté les cendres et les poussières pour les déposer dans une pyxide d’argent qu’il avait lui-même donnée à cet effet (ill. 2), et mentionne enfin des clous. Lors de l’ouverture de la boîte métallique et du sachet de velours retrouvés dans la châsse, Monseigneur Jean Scarcella a pu constater que son prédécesseur de l’époque baroque avait tout juste (ill. 3) !

Deux petits trous

Deux petits trous

Une fois déposé l’ensemble des plaques métalliques qui recouvraient le pignon de la Vierge, celui-ci a révélé la présence de deux orifices circulaires (ill.1).Le premier, situé au sommet de la planche sous le faîte du toit, est obstrué par un bouchon de bois, sans doute de mélèze, et a été percé mécaniquement; le second, dont le bouchon est tombé dans la châsse lors des travaux, occupe, à mi-hauteur sur la gauche, la place d’un noeud dans la planche, mais a très vraisemblablement été agrandi de façon mécanique. Nous ignorons pour l’heure la fonction de ces deux trous. Profitant de cette ouverture, nous avons souhaité regarder ce que contenait la châsse à l’aide d’un endoscope (ill.2).

Cette première intrusion a permis de retrouver un sachet de velours contenant des reliques, connu par ailleurs, et d’identifier la présence d’une boîte en métal (étain ou plomb), qui devrait également contenir des reliques (ill.3). Nous saurons plus tard si cette boîte passe par la petite trappe située sous la châsse; dans le cas contraire, nous aurions peut-être une preuve indirecte de la présence d’une porte plus grande, désormais invisible ou tout simplement condamnée. D’autres observations ont été faites, qui demandent encore une vérification.